16 octobre 2018
Interview avec le Conservateur du Parc National Bamingui Bangoran

Lutte anti braconnage, Gérer Gérer, La parole à ... La parole à ...


En 2016 M. Bertrand Dilla a été nommé, par le ministère des Eaux et Forêts Centrafricaine, Conservateur du Parc National Bamingui Bangoran, une des zones les plus compliquées pour la conservation de la grande faune africaine.

Conservateur, vous êtes en charge dans le Parc Bamingui Bangoran depuis 2 ans désormais, quels sont les plus grands défis que vous avez rencontrés pour la conservation de cette aire protégée ?

Dès mon arrivée au Parc National de Bamingui Bangoran en 2016, j’ai rencontré plusieurs défis : la présence de groupes armés qui contrôlaient la zone, la transhumance transfrontalière incontrôlée, le braconnage organisé par la population locale et une sensation générale d’impunité perçue par la population, en raison de l’absence de l’autorité de l’Etat dans la région du Nord-est.

Avant de venir au Parc National Bamingui Bangoran, vous avez travaillez dans d’autres aires protégées ?

Bien sûr, j’ai travaillé dans le Complexe d’Aires Protégées de Moukalaba Doudou et Petit Louango, dans la Province de l’Ogooué Maritime à Gamba au Gabon, dans le cadre de l’élaboration d’un plan de zonage des activités de subsistances et des sites sacrés des terroirs de Mounda, et pour le suivi écologique des grands primates. Ensuite, dès mon retour en RCA, j’ai travaillé au projet FAO « Renforcement de la sécurité alimentaire en Afrique Centrale à travers la gestion durable des produits forestiers non ligneux », comme consultant national, dans la Préfecture de la Lobaye.

Quelles sont les principales différences, en termes de valeur et menaces, entre le Parc National Bamingui Bangoran et Complexe de Gamba au Gabon ?

Les principales différences entre ces aires protégées sont de type géographique (le complexe de Gamba est une forêt tropicale humide au bord de l’océan Atlantique, tandis que le Parc National Bamingui Bangoran est dans une zone de forêts sèches et savanes enclavée au centre du continent africain), ainsi qu’en termes de richesse de la biodiversité encore présente.
Cela mène à la troisième grande différence : les menaces. Ces aires protégées du Gabon n’ont jamais connu le niveau de braconnage et la destruction engendrée par une guerre civile.

Quels rapports existent-ils entre le Parc de Bamingui Bangoran et la population locale ?

Malheureusement, une grande partie de la population considère encore les initiatives de conservation des ressources naturelles et la lutte anti braconnage dans le Parc National Bamingui Bangoran, comme des obstacles à la satisfaction de leurs besoins primaires. Ils comprennent difficilement l’importance d’utiliser cette ressource à travers une utilisation plus contrôlée, durable ; ou de la valoriser d’une façon plus rentable que de la transformer simplement en viande boucanée pour la revendre à bon marché aux commerçants des villes. Ces sont les messages que nous essayons de faire passer avec nos campagnes d’information régulièrement conduites dans la zone.

Avec la guerre Civile des dernières années, la grande faune a été décimée par le Braconnage : vous pensez que le Parc National Bamingui Bangoran pourra à moyen terme retrouver sa biodiversité en Faune ?

Je suis optimiste. À moyen terme, le Parc National Bamingui Bangoran pourra retrouver sa richesse faunique initiale, mais ça pourra arriver seulement à certaines conditions. Tout d’abord, le service de la conservation devra multiplier les antennes avancées de surveillance de manière à permettre à ses surveillants pisteurs de contrôler de manière permanente l’ensemble du territoire du Parc, ainsi permettant à la grande faune de reconquérir progressivement les territoires qu’elle a délaissés du fait des pressions humaines. Une stratégie pour réduire la pression humaine sur la faune sauvage est aussi d’appuyer la reconversion de commerçantes locales de viande de brousse en commerçants de viande de bœuf conditionnée en « charmottes » (boucanée). Le Gouvernement devra aussi faciliter la mise en place d’une plateforme de concertation nationale au motif de parvenir à un consensus sur les éléments à formater dans une stratégie intersectorielle ou une politique nationale de gestion du pastoralisme. Enfin, pour arrêter le sentiment d’impunité qui s’est installé depuis quelques années dans la zone, un retour rapide de l’autorité de l’Etat est nécessaire, avec le déploiement de l’appareil judiciaire et de sécurité dans la zone. Afin de réduire significativement le braconnage, et d’une manière générale les activités illégales dans le Parc, le support des institutions judiciaires à Bangui est essentiel. Nous avons eu des cas de braconniers arrêtés en flagrant délit dans le Parc pour avoir non seulement braconné mais aussi attenté à la vie de nos surveillants pisteurs : 3 mois après avoir déposé plainte avec PV à l’appui, les délinquants, toujours en attente de déferrement à Bangui, circulent librement. C’est cette impunité qui demeure le maillon faible pour appuyer la conservation de la faune dans le nord du pays.
Le Pays a un grand intérêt à œuvrer dans ce sens car il est de plus en plus reconnu aux initiatives de conservation, la justesse de leurs contributions en ce qui a trait au développement et à la sécurité dans toutes ses dimensions : écologique, alimentaire, territoriale, publique, transfrontalière, économique, sociale.